lundi 20 mai 2013

Bataille du Kosovo 1389




 Histoire de l'Empire ottoman

Par Joseph von Hammer-Purgstall, Louis Dochez

 Bataille du Kosovo 1389 et des trompette, et l'on entendait pousser le cri de guerre: Allah est grand! lorsque Ba- jesid, ne pouvant plus contenir «on ardeur, et n'osant pas néanmoins commencer l'attaque de son propre mouvement, se précipi'a de son cheval, baisa la terre devant «on père, et sol- licila la permission de charger (1); le sultan l'accorda, et aussitôt les épées se plongèrent dans le sang, ïimurtasch fondit sur le prince de Kararaanie, le contraignit à la fuite, et décida la victoire. Eu récompense, il reçut la plus grande part du butin, et le litre de vesir ou pascha à trois queues, qu'il fut le premier à porter parmi les beglerbegs de l'empire ottoman (2); et qui, avant lui, avait été exclusivement réservé au premier dignitaire de l'État: en sorte que celui-ci, pour être distingué des autres vesirs, fut désonnais appelé le grand vesir. A la bataille s-.iccéda immédiatement le siège do Konia; défense rigoureuse fut faite à l'armée de rien pilîer, de rien prendra de force aux habitants du pays. La peine de mort appliquée a quelques soldats serviens qui osèrent enfreindre cet ordre détourna ces auxiliaires des Ottomans, mais gagna aux troupes la confiance des populations, et leur assura d'amples approvisionnements. Durant douze jours, Murad resta campé devant Konia sans rien entreprendre. Le prince de Ka- ramanie, pénétré des dangers de sa situation, envoya dans le camp des Ottomans son épouse, la fille de Murad, pour intercéder en sa faveur. A force de prières . elle décida son père à donner la paix à son époux, si celui-ci venait l'implorer en personne, et baiser la main du sultan en signe de soumission et de reconnaissance (3). Alaeddin dot se résigner à cet:e humiliation, rendit hommage à son vainqueur, et resta en possession de Konia et de ses autres domaines. Alors Murad marcha contre la ville de Begschehri, qui avait fait défection, et la réduisit en quelques jours (4). Comme en cette occasion on lui conseillait de réunir en même temps à l'empire les États du prince de Tekke, il rejeta cette proposition en disant : « Le prince de Tekke est un pauvre diable dont la puissance s'étend seu'ement sur les deux villes d'istenos et d'Antalia; il serait honteux de lui faire la guerre : le lion ne chasse pas les mouches. » Le seigneur de Tekke comprit l'avertissement , et livra tous ses châteaux entre les mains de Murad , pour conserver au moins la possession des deux places nommées par le sullan. L'armée ottomane fut congédiée à Ku- tahiie, et Murad rentra triomphant dans Brusa(l).

Lorsque les auxiliaires serviens, de retour dans leur pays, racontèrent le supplice de leurs frères devant Konia, le ressent Iment fut général, et la servie se révolta, comptant sur l'as- istance des Bosniens et même des Bulgares, dont le kral Sisman, quoique beau-père de Murad, s'unit en secret contre lui avec Lazare, kral de Servie (2). Les forces des deux peuples firent subir à vingt mille Turcs, alors occupés à piller la Bosnie, une défaite si complète que cinq mille à peine échappèrent au carnage [1387]. Murad pouvait bien alors disposer des troupes auxiliaires des pànces asiatiques de Tekke, Aidin, Mentesche, Ssaruchàn, et Ka- raman, inclinés devant sa puissance (3); mais, en Kurope, les krals de Bosnie, de Servie et de Bulgarie étaient ligués contre lui ; le prince de la Tatarie-Dobruze s'était laissé entraîner à la défection; il n'y avait que ses vassaux, les princes de Gustendil et de Serradsch qui lui demeurassent fidèles. 11 se prépara donc à une campagne d'Europe; et pour assurer pendant ce temps le repos de l'Asie, il en partagea l'administration dans les cinq sandschaks suivants : le pays de Kermian, qui jusqu'alors avait été gouverné par Bajesid, fut confié au vesir-beglerbeg Timurtasch, attendu que le prince, ainsi que son frère Jakub, suivaient leur père en Europe : un autre Timur- tasch-subaschi ( lieutenant de police ) fut placé à la tète de l'administration de Slwrihiszar et du pays situé sur le Sangarius ; Firus-Beg reçut le sandschak d'Angora ; le subaschi Kods- cha-Beg, celui d'Akschehr, et le subaschi Kut-lu-Beg, celui d'Igirdir, dans le district de Hamid (1), en même temps furent nommés les chefs de l'armée.

Avant d'entrer en campagne, Murad se rendit à Jenitschehr pour y célébrer son mariage et celui de ses deux fils, Bajesid et Jakub, avec trois princesses byzantines, et pour fêter en même temps la circoncision de ses trois petits- fils. Chez les Arabes, Persans et Turcs, ce n'est pas seulement la célébration du mariage des jeunes filles que l'on désigne par le mot noce ; sous ce terme générique on comprend aussi la solennisatkm de la circoncision des garçons, parce que, dans les idées des Orientaux, les fêles de mariages sont données uniquement à la fiancée et non point à l'époux, qui déjà, comme jeune garçon, a reçu dans les fêtes de la circoncision un dédommagement pour la douleur subie dans l'opération, de même que les réjouissances du mariage sont destinées à sécher les larmes de la jeune fille. Au milieu des réjouissances de Jenilschehr, Murad, pour reconnaître les assurances d'amitié du sultan d'Egypte, envoya à son tour ii ce souverain pour ambassadeur Jasidschi - Oghli ( fils de l'écrivain), dont les fils, qui portèrent le même nom que leur père, honorèrent la littérature ottomane sous le règne de Murad II.

A peine les fêtes étaient achevées, Ali-Pas- cha s'avança avec trente mille hommes pour châtier la perfidie de Sisman. La Bulgarie, autrefois la Mysie Inférieure, est un pays fertile, protégé, au nord, par le Danube, qui, dans cette partie de son cours, est large et profond, et, au sud, par la chaîne de l'Hoemus. Du côté de ces montagnes, la Bulgarie, dans toule sa longueur, n'est accessible que par ses défilés, auxquels correspondent sur la ligne parallèle du Danube autant de places plus ou moins fortifiées , en sorte que chaque passage venant de la Rumili est, pour ainsi dire, fermé par une forteresse bulgare. Les deux places les plus extérieures de la frontière septentrionale sont, vers l'ouest, Vidin, et, à l'est, Silistra ( le Bodène et le Dorostolos des Byzantins ) (2). Près de Vidin, se trouve, à l'est, Nicopolis, qui, à une époque postérieure, a usurpé la
gloire d'une ancienne ville de ce nom située plus avant dans le pays (1 ); et près de Silistra, vers l'ouest, on rencontre Rusdschuk, à la place de l'ancienne Securisca ; et entre Nicopolis et Rusdschuk, là où était Saidava, s'élève la ville de Sistov, fameuse dans l'histoire des traités par la dernière paix conclue dans ses murs entre l'Autriche et la Porte. Les défilés de l'Hœmus correspondant à ces points de la frontière septentrionale, dans l'ordre où ils ont été cités, sont : 1° le Ssuluderbend (passage aqueux ) et le Capuludcrbend, qoi servent d'ouverture au défilé le plus occidental; 2° celui d'Isladi, célèbre plus tard par la victoire d'Hunyad, et qui mène à Vidin par Sofia et Nissa; 3° celui de Kasanlik, qui conduit à Nicopolis; 4° Demurkapu (la porte de fer \débouchant vers Sistov; le cinquième et le sixième, percés à côté l'un de l'autre, se réunissent , au versant méridional de l'Hœmus, A Karinabad; mais, du côté du nord de cette montagne, la route de Rusdschuk traverse le cinquième, celle de Silistra le sixième, et le septième, Nadirderbend, mène également vers cette ville. De ces sept défilés, le plus occidental et le plus oriental sont les plus fameux dans l'antiquité : le premier a été décrit avec exactitude par Ammien, et le second, d'une manière plus poétique, par Théophylactus. Nous reviendrons sur le premier quand la marche de l'armée turque nous y conduira ; mais nous rappelons en ce moment les paroles de Théo- phylaclus sur JNadirderbend , parce qu'Ali- Pascha traversa d'abord avec son armée Tscha- likawak , puis se dirigea vers Schumna et Parawadi par Nadirderbend. «Sabuleu-Kanalin (dont on a fait Tschali-Kawak) est dans une situation délicieuse au milieu de la montagne; la plaine qui s'étend à ses pieds est couverte d'un tapis émaillé de fleurs ; de vertes prairies se déploient au loin et reposent agréablement la vue , tandis que les ombres de la forêt couvrent comme une tente le voyageur qui gravit la hauteur. Mais, à l'heure de midi, il est brûlé par la chaleur, lorsque les rayons du soleil pénètrent dans les entrailles de la terre. Le pays abonde en sources dont les eaux ne glacent point celui qui s'y désaltère, et n'exercent aucune action malfaisante sur les membres qui s'y rafraîchissent. Des oiseaux, posés sur de tendres rameaux , réjouissent par leurs chants mélodieux le voyageur fatigué. Le lierre, le myrte et les ifs se marient avec mille autres ! fleurs dans une admirable harmonie ; l'air est chargé de parfums dont les sens sont enivrés, etc »

C'est par ce passage que le grand vesir Ali- Pascha s'avança vers Schumna, après avoir détaché Jaschschi-Beg , fils du beg!erbeg Ti- j murtasch, avec cinq mille hommes, du côté de j Parawadi (1). Cette ville, placée dans la pro- i fondeur de la dernière gorge orientale de [ l'Hœmus, fut emportée par la force; Schumna, si souvent quartier général des armées turques (2) dans les temps les plus récents, se rendit volontairement, à la nouvelle de la chute de Tiraowa (3), l'ancienne forteresse de Sis- man. Ce prince se fortifia à Nicopolis où il fut assiégé par Ali-Pascha. Alors, il implora la paix. Le grand vesir l'emmena au camp de Murad, qui voulut bien traiter avec lui moyennant le payement du tribut échu et la remise de Silistra. Ali-Pascha poussa des partis, sous les ordres de Tughan-Beg, du côté de Kossova (4), à l'angle méridional de la Bosnie, au point de jonction de sa frontière avec celles de l'Albanie, de l'Herzogewine et de la Servie. Ces coureurs revinrent entraînant une foule de captifs. Ali-Pascha exigea pour leur rançon la remise de Tschete ; puis, lorsqu'il fut en possession de la place, il se dispensa de tenir sa parole, attendu que Sisman, au lieu de livrer j Silistra, la fortifiait de plus en plus, ainsi que Nicopolis. Le vesir poursuivit donc la guerre , contre ce prince, prit le château de Drid- j schasa (5) par capitulation, emporta d'assaut celui d'Hirschova (6) sur le Danube, parut avec toutes ses forces devant Nicopolis, et réduisit le kral ;ï se remettre, avec sa capitale et sa famille , à la merci du vainqueur. Le vesir l'envoya avec ses trésors et ses enfanls à Tausli, dans le camp de Murad [1390l, qui lui laissa la vie, mais prit possession de toute la Bulgarie.

Le kral servien Lazare, voyant l'orage prèi à fondre sur ses frontières, se prépara à la ré- sistance : voulant même prévenir l'ennemi, il ordonna à son général Démélriiis d'altaqucr et d'enlever le château de Schehrkoï (1), situé au sommet d'une montagne escarpée sur la frontière de la Bulgarie, maintenant soumise aux Otlomans. A cette nouvelle, Ali-Pascha envoya en toute hâte Jachschi-Beg, le subaschi Aine-Beg et le pascha Sarudsche, avec dix mille hommes, pour reprendre la place. L'entreprise réussit. Le château fut rasé, la garnison emmenée prisonnière ; mais Jachschi-Beg, qui en fit le rapport au sultan et demanda la permission de poursuivre l'ennemi, reçut l'ordre de revenir. Lazare n'épargna aucune peine pour déterminer ses voisins, les souverains d'Albanie et de Bosnie, à une ligue de peuples contre Murad, et, plein de confiance dans leur appui, il osa envoyer une provocation au sultan (2). Celui-ci avait rappelé d'Asie ses fils Bajesid et Jakub, qui gouvernaient alors les sandschaks de Kutahije et de Karasi (3), ei fortifié son ar- méedes troupesauxiliaires deSsaru-Chan, Men- tesche, Aidin et de Haroid (4). Parmi les souverains chrétiens européens, ses vassaux, il pouvait compter sur le prince de Serradsch et sur Constantin, prince de Gustendil (5). Un plus puissant renfort était le nom d'Ewrenos-Beg, le vieux compagnon d'armes d'Urchan, qui venait d'arriver à l'armée, de retour de son pèlerinage à la Mecque. Murad mena toutes ses troupes par le défilé de Succi (Ssuluderbcnd), le plus occidental de l'Huemus, qui, selon le rnpport d'Ammien Marcellin (6), s'élève graduellement du côté du nord ou de l'Illyrie, descend brusquement sur le versant de la Thrace, et ne peut être franchi qu'avec peine à l'aide de sentiers étroits, pratiqués à travers les rochers. Des deux côtés de l'Hœmus , à parlir du point où le Rhodope s'en détache pour s'avancer au sud, s'étendent de vastes pleines ; au nord se déploie la campagne de Jardika ou Sofia, habitée par les Daces au temps d'Ammien Mar- cellin (1); au sud celle de Philippopolis, où demeuraient les Thraces. A son troisième jour de marche, Murad atleigmt Ihliman (2) (l'ancien He'ike). Ici la route se pariage : à droite, un chemin facile et commode conduit à Sofia, Nissa et Schehrkoï (3); par celui de gauche, qu'inlerrompent souvent les eaux manquant d'écoulement, on arrive péniblement aux bains chauds de Gustendil, à l'angle où l'Orbelos se joint au Rhodope. Suivant le conseil de son vassal chrétien, le prince de Serradsch, Murad choisi! ce chemin, appelé Ssuluderbend, comme le plus court et menant le plus vite a l'ennemi. Trois jours après son départ d'Ihtiman, il atteignit la pi inr d'Alaeddin, où il s'arrêta deux jours, et, le lendemain, il était devant Gustendil, où il fut reçu amicalement par le seigneur du pays, son fidèle vassal; là, les guerriers fatigués trouvèrent une nourriture si abondante que, selon l'expression de Neschri (4), on voyait couler des ruisseaux de lait et de miel. La première halte fut dans la grande vallée d'U- lu-Owa (6), d'où Ewrenos fit une reconnaissance avec quarante cavaliers, et ramena quelques prisonniers (6). D'Ulu-Owa la marche se poursuivit vers Karatova (7), où l'on s'arrêla plus long'emps. Un envoyé de Lazare, qui, sous prétexte d'apporter un défi, n'était venu en réalité que pour voir l'état de l'armée, dut rendre grâces à son caractère, s'il ne reçut, pour prix de son insolent message, qu'une réponse dédaigneuse (8). Murad tint un conseil de guerre avec les chefs de son armée, et ton* furent d'avis de s'avancer dans le pays de l'ennemi. Ewrenos-Beg et Jigit-Pascha prirent la conduite de l'avant-garde. L'armée, tirant au nord, traversa les gorges de l'Orbelos, campa à Gunvschhisz;ir (1 ), sur la rive occidentale de la Morava, et passa le fleuve dans la nuit, tambour battant, enseignes déployées, en six divisions. La première était conduite par le grand vesir, la seconde par le prince Bajesid. la troisième par Aine-Beg, la quatrième par le prince .Iakub, la cinquième par Saridsch-Pas- cha, et la sixième par Murad en personne (2). la plaine de Kossova (en hongrois Rigomazeu, en allemand le champ des merles) a cinq mille pas de largeur et vingt mille de longueur; traversée par une petite rivière, elle est enfermée de tous cotés par des montagnes de peu d'élévation, auprès desquelles sont bâtis de jolis villages (3). Là, les troupes de Murad se trouvèrent en face de l'armée , bien supérieure en nombre, des grinces alliés de Servie, de Bosnie, d'Herzogewine et d'Albanie, et le sultan délibéra avec ses généraux pour savoir si l'on attaquerait sans s'arrêter à la supériorité de l'ennemi (4). Plusieurs furent d'avis df réunir les chameaux devant le front de l'armée , afin de jeter le trouble dans les rangs des Européens par l'aspect étrange de ces animaux (6), et de s'en servir en même temps comme d'une sorte de rempart. Le prince Bajesid combattit cette proposition. « Le ciel, disait-il , avait jusqu'alors couvert les armes ottomanes d'une protection si extraordinaire qu'il n'était pas besoin d'une telle ressource ; un stratagème de cette nature portait atteinte à la confiance que l'on mettait en Dieu ; il fallait combattre face à face et à découvert.» Le grand vesir appuya ce sentiment du prince par le résultat de la consultation faite dans la nuit sur les feuillets du Koran, selon la coutume. H était tombé sur ce passage: «0 Prophète, domute les infidèles et les hypocrites  et, en effet, sou vent une faible troupe en abat une plusgrande(l). «Le beglerbeg Timur- lasch repoussa aussi la proposi'ion par des motifs puisés dans l'expérience de la guerre plutôt que dans la religion ; il représenta que les chameaux seraient effrayés par la grosse cavalerie plutôt qu'ils ne jetteraient la terreur dans les troupes opposées, et qu'en reculant, ils rompraient les rangs des Ottomans, au lieu de jeter le désordre dans ceux de l'ennemi (2). Le conseil se sépara à la nuit sans qu'une résolution eût été prise. Murad, découragé de voir que le vent, soufflant du côté de l'ennemi, chassait la poussière au visage des Ottomans, pria toute la nuit pour obtenir l'assistance d'en haut (3) et la faveur de mourir en martyr dans la défense de la vraie foi et de l'islam, qui seul peut donner la félicité. A la naissance du jour, les nuages de poussière tombèrent sous une pluie bienfaisante.

Du côté des alliés, dans le conseil de guerre, la proposition d'attaquer durant la nuit fut rejetée par Georges Castriota, qui prétendit que la nuit favoriserait la fuite de l'ennemi, le déroberait à sa destruction complète. Lorsque le ciel fut éclairci, les deux armées se trouvèrent en présence, prêtes au combat. Celle des infidèles, composée de Serviens, Bulgares, Bosniens, Albanais, Valaques, Polonais et même de Hongrois, d'après le témoignage de l'historien ottoman, était disposée dans cet ordre : Lazare, roi de Servie , commandait le centre, son neveu Wuk - Brankovich l'aile droite, et le roi de Bosnie, Thwarko, l'aile gauche. Les Ottomans étaient ainsi rangés : Murad choisit sa place accoutumée au milieu de l'ordre de bataille, le prince Bajesid prit le commandement de la droite, le prince Jakub la coqduite de la gauche. Au premier lurent adjoints Ewrenos-Beg et Kurd, aga des Asabes; au second, le subaschi Aine-Beg et le chef des pionniers Saridsche-Pascha. Haider, maître de l'artillerie, se tint au front avec ses pifces distribuées entre les janitschares ; sur les derniers  troupes.

I.a bataille s'engagea, et déjà l'aile gauche des Oltomans commençait à plier, lorsque Bajesid accourut à son secours, brisant devant lui les tètes des ennemis avec une massue de fer. l.esang coulait à grands flots. Tout à coup, au milieu des morts el des mourants, s'avance un noble servien, Milosch Kobilovitsch, qui, s'ouvrant violemment un passage à travers les rangs des tschauschs et des gardes du corps, s'écrie qu'il veut confier un secret à Murad. Sur un signe du sultan, on le laisse approcher; le Servien s'élance, et, au moment où il se courbait comme pour baiser les pieds de Murad, il lui plonge son poignard dans le ventre. Les gardes du corps se précipitent sur l'assassin ; mais Milosch, plein de vigueur et d'agilité, en abat plusieurs; trois fois, par d'incroyables efforts, il échappe i la foule des assaillants, et cherche à gagner le bord du fleuve où il avait laissé son cheval, mais enfin, accablé par le nombre, il est renversé et mis en pièces (2). Cependant, malgré sa blessure mortelle, Murad eut encore assez de force d'Ame pour donner les ordres qui devaient achever la victoire. Lazare fut pris et amené dans la tente de Murad , qui se trouva en état de prononcer sa condamnation, et qui, avant d'expirer, vengea d'avance sa propre mort si prochaine par celle de son ennemi 1389.

                  Action de Millosh Kobillovic

Tel est le récit présenté par les historiens ottomans sur l'action de Milosch-Kobilovitsch ; les Grecs et les Serviens ne rapportent pas de même le meurtre du sultan. Si les Turcs ont l'habitude de rabaisser les actions glorieuses des chrétiens, ceux-ci sont trop disposés à grandir leurs héros, à les revêtir des plus brillantes couleurs. Il faut donc opposer les uns aux autres les témoignages contradictoires, et, dans le doute, s'abstenir de prononcer. Voici comme l'action de Kobilovitsch est racontée, non-seulement par les traditions serviennes, mais encore par l'un des Byzantins les plus dignes de foi, Jean Ducas, petit-fils de l'empereur de ce nom : « La veille de la bataille, le roi Lazare était et des trompette», et l'on entendait pousser le cri de guerre: Allah est grand! lorsque Ba- jesid, ne pouvant plus contenir «on ardeur, et n'osant pas néanmoins commencer l'attaque de son propre mouvement, se précipi'a de son cheval, baisa la terre devant «on père, et sol- licila la permission de charger (1); le sultan l'accorda, et aussitôt les épées se plongèrent dans le sang, ïimurtasch fondit sur le prince de Kararaanie, le contraignit à la fuite, et décida la victoire. Eu récompense, il reçut la plus grande part du butin, et le litre de vesir ou pascha à trois queues, qu'il fut le premier à porter parmi les beglerbegs de l'empire ottoman (2); et qui, avant lui, avait été exclusivement réservé au premier dignitaire de l'État: en sorte que celui-ci, pour être distingué des autres vesirs, fut désonnais appelé le grand vesir. A la bataille s-.iccéda immédiatement le siège do Konia; défense rigoureuse fut faite à l'armée de rien pilîer, de rien prendra de force aux habitants du pays. La peine de mort appliquée a quelques soldats serviens qui osèrent enfreindre cet ordre détourna ces auxiliaires des Ottomans, mais gagna aux troupes la confiance des populations, et leur assura d'amples approvisionnements. Durant douze jours, Murad resta campé devant Konia sans rien entreprendre. Le prince de Ka- ramanie, pénétré des dangers de sa situation, envoya dans le camp des Ottomans son épouse, la fille de Murad, pour intercéder en sa faveur. A force de prières . elle décida son père à donner la paix à son époux, si celui-ci venait l'implorer en personne, et baiser la main du sultan en signe de soumission et de reconnaissance (3). Alaeddin dot se résigner à cet:e humiliation, rendit hommage à son vainqueur, et resta en possession de Konia et de ses autres domaines. Alors Murad marcha contre la ville de Begschehri, qui avait fait défection, et la réduisit en quelques jours (4). Comme en cette occasion on lui conseillait de réunir en même temps à l'empire les États du prince de Tekke, il rejeta cette proposition en disant : « Le prince de Tekke est un pauvre diable dont la puissance s'étend seu'ement sur les deux villes d'istenos et d'Antalia; il serait honteux de lui faire la guerre : le lion ne chasse pas les mouches. » Le seigneur de Tekke comprit l'avertissement , et livra tous ses châteaux entre les mains de Murad , pour conserver au moins la possession des deux places nommées par le sullan. L'armée ottomane fut congédiée à Kutahiie, et Murad rentra triomphant dans Brusa(l).

Lorsque les auxiliaires serviens, de retour dans leur pays, racontèrent le supplice de leurs frères devant Konia, le ressent Iment fut général, et la servie se révolta, comptant sur l'as- istance des Bosniens et même des Bulgares, dont le kral Sisman, quoique beau-père de Murad, s'unit en secret contre lui avec Lazare, kral de Servie (2). Les forces des deux peuples firent subir à vingt mille Turcs, alors occupés à piller la Bosnie, une défaite si complète que cinq mille à peine échappèrent au carnage [1387]. Murad pouvait bien alors disposer des troupes auxiliaires des pànces asiatiques de Tekke, Aidin, Mentesche, Ssaruchàn, et Ka- raman, inclinés devant sa puissance (3); mais, en Kurope, les krals de Bosnie, de Servie et de Bulgarie étaient ligués contre lui ; le prince de la Tatarie-Dobruze s'était laissé entraîner à la défection; il n'y avait que ses vassaux, les princes de Gustendil et de Ser- radsch qui lui demeurassent fidèles. 11 se prépara donc à une campagne d'Europe; et pour assurer pendant ce temps le repos de l'Asie, il en partagea l'administration dans les cinq sandschaks suivants : le pays de Kermian, qui jusqu'alors avait été gouverné par Bajesid, fut confié au vesir-beglerbeg Timurtasch, attendu que le prince, ainsi que son frère Jakub, suivaient leur père en Europe : un autre Timur- tasch-subaschi ( lieutenant de police ) fut placé à la tète de l'administration de Slwrihiszar et du pays situé sur le Sangarius ; Firus-Beg reçut le sandschak d'Angora ; le subaschi Kods- cha-Beg, celui d'Akschehr, et le subaschi Kut-lu-Beg, celui d'Igirdir, dans le district de Hamid (1), en même temps furent nommés les chefs de l'armée.

Avant d'entrer en campagne, Murad se rendit à Jenitschehr pour y célébrer son mariage et celui de ses deux fils, Bajesid et Jakub, avec trois princesses byzantines, et pour fêter en même temps la circoncision de ses trois petits- fils. Chez les Arabes, Persans et Turcs, ce n'est pas seulement la célébration du mariage des jeunes filles que l'on désigne par le mot noce ; sous ce terme générique on comprend aussi la solennisatkm de la circoncision des garçons, parce que, dans les idées des Orientaux, les fêles de mariages sont données uniquement à la fiancée et non point à l'époux, qui déjà, comme jeune garçon, a reçu dans les fêtes de la circoncision un dédommagement pour la douleur subie dans l'opération, de même que les réjouissances du mariage sont destinées à sécher les larmes de la jeune fille. Au milieu des réjouissances de Jenilschehr, Murad, pour reconnaître les assurances d'amitié du sultan d'Egypte, envoya à son tour ii ce souverain pour ambassadeur Jasidschi - Oghli ( fils de l'écrivain), dont les fils, qui portèrent le même nom que leur père, honorèrent la littérature ottomane sous le règne de Murad II.

A peine les fêtes étaient achevées, Ali-Pas- cha s'avança avec trente mille hommes pour châtier la perfidie de Sisman. La Bulgarie, autrefois la Mysie Inférieure, est un pays fertile, protégé, au nord, par le Danube, qui, dans cette partie de son cours, est large et profond, et, au sud, par la chaîne de l'Hoemus. Du côté de ces montagnes, la Bulgarie, dans toule sa longueur, n'est accessible que par ses défilés, auxquels correspondent sur la ligne parallèle du Danube autant de places plus ou moins fortifiées , en sorte que chaque passage venant de la Rumili est, pour ainsi dire, fermé par une forteresse bulgare. Les deux places les plus extérieures de la frontière septentrionale sont, vers l'ouest, Vidin, et, à l'est, Silistra ( le Bodène et le Dorostolos des Byzantins ) (2). Près de Vidin, se trouve, à l'est, Nicopolis, qui, à une époque postérieure, a usurpé la
gloire d'une ancienne ville de ce nom située plus avant dans le pays (1 ); et près de Silistra, vers l'ouest, on rencontre Rusdschuk, à la place de l'ancienne Securisca ; et entre Nicopolis et Rusdschuk, là où était Saidava, s'élève la ville de Sistov, fameuse dans l'histoire des traités par la dernière paix conclue dans ses murs entre l'Autriche et la Porte. Les défilés de l'Hœmus correspondant à ces points de la frontière septentrionale, dans l'ordre où ils ont été cités, sont : 1° le Ssuluderbend (passage aqueux ) et le Capuludcrbend, qoi servent d'ouverture au défilé le plus occidental; 2° celui d'Isladi, célèbre plus tard par la victoire d'Hunyad, et qui mène à Vidin par Sofia et Nissa; 3° celui de Kasanlik, qui conduit à Nicopolis; 4° Demurkapu (la porte de fer  débouchant vers Sistov; le cinquième et le sixième, percés à côté l'un de l'autre, se réunissent , au versant méridional de l'Hœmus, A Karinabad; mais, du côté du nord de cette montagne, la route de Rusdschuk traverse le cinquième, celle de Silistra le sixième, et le septième, Nadirderbend, mène également vers cette ville. De ces sept défilés, le plus occidental et le plus oriental sont les plus fameux dans l'antiquité : le premier a été décrit avec exactitude par Ammien, et le second, d'une manière plus poétique, par Théophylactus. Nous reviendrons sur le premier quand la marche de l'armée turque nous y conduira ; mais nous rappelons en ce moment les paroles de Théo- phylaclus sur JNadirderbend , parce qu'Ali- Pascha traversa d'abord avec son armée Tscha- likawak , puis se dirigea vers Schumna et Parawadi par Nadirderbend. «Sabuleu-Kanalin (dont on a fait Tschali-Kawak) est dans une situation délicieuse au milieu de la montagne; la plaine qui s'étend à ses pieds est couverte d'un tapis émaillé de fleurs ; de vertes prairies se déploient au loin et reposent agréablement la vue , tandis que les ombres de la forêt couvrent comme une tente le voyageur qui gravit la hauteur. Mais, à l'heure de midi, il est brûlé par la chaleur, lorsque les rayons du soleil pénètrent dans les entrailles de la terre. Le pays abonde en sources dont les eaux ne glacent point celui qui s'y désaltère, et n'exercent aucue action malfaisante sur les membres qui s'y rafraîchissent. Des oiseaux, posés sur de tendres rameaux , réjouissent par leurs chants mélodieux le voyageur fatigué. Le lierre, le myrte et les ifs se marient avec mille autres ! fleurs dans une admirable harmonie ; l'air est chargé de parfums dont les sens sont enivrés, etc »

C'est par ce passage que le grand vesir Ali- Pascha s'avança vers Schumna, après avoir détaché Jaschschi-Beg , fils du beg!erbeg Ti- j murtasch, avec cinq mille hommes, du côté de j Parawadi (1). Cette ville, placée dans la pro- i fondeur de la dernière gorge orientale de [ l'Hœmus, fut emportée par la force; Schumna, si souvent quartier général des armées turques (2) dans les temps les plus récents, se rendit volontairement, à la nouvelle de la chute de Tiraowa (3), l'ancienne forteresse de Sis- man. Ce prince se fortifia à Nicopolis où il fut assiégé par Ali-Pascha. Alors, il implora la paix. Le grand vesir l'emmena au camp de Murad, qui voulut bien traiter avec lui moyennant le payement du tribut échu et la remise de Silistra. Ali-Pascha poussa des partis, sous les ordres de Tughan-Beg, du côté de Kos- sova (4), à l'angle méridional de la Bosnie, au point de jonction de sa frontière avec celles de l'Albanie, de l'Herzogewine et de la Servie. Ces coureurs revinrent entraînant une foule de captifs. Ali-Pascha exigea pour leur rançon la remise de Tschete ; puis, lorsqu'il fut en possession de la place, il se dispensa de tenir sa parole, attendu que Sisman, au lieu de livrer j Silistra, la fortifiait de plus en plus, ainsi que Nicopolis. Le vesir poursuivit donc la guerre , contre ce prince, prit le château de Drid- j schasa (5) par capitulation, emporta d'assaut celui d'Hirschova (6) sur le Danube, parut avec toutes ses forces devant Nicopolis, et réduisit le kral ;ï se remettre, avec sa capitale et sa famille , à la merci du vainqueur. Le vesir l'envoya avec ses trésors et ses enfanls à Tausli, dans le camp de Murad [1390l, qui lui laissa la vie, mais prit possession de toute la Bulgarie.

Le kral servien Lazare, voyant l'orage prèi à fondre sur ses frontières, se prépara à la ré- sistance : voulant même prévenir l'ennemi, il ordonna à son général Démélriiis d'altaqucr et d'enlever le château de Schehrkoï (1), situé au sommet d'une montagne escarpée sur la frontière de la Bulgarie, maintenant soumise aux Otlomans. A cette nouvelle, Ali-Pascha envoya en toute hâte Jachschi-Beg, le subaschi Aine-Beg et le pascha Sarudsche, avec dix mille hommes, pour reprendre la place. L'entreprise réussit. Le château fut rasé, la garnison emmenée prisonnière ; mais Jachschi-Beg, qui en fit le rapport au sultan et demanda la permission de poursuivre l'ennemi, reçut l'ordre de revenir. Lazare n'épargna aucune peine pour déterminer ses voisins, les souverains d'Albanie et de Bosnie, à une ligue de peuples contre Murad, et, plein de confiance dans leur appui, il osa envoyer une provocation au sultan (2). Celui-ci avait rappelé d'Asie ses fils Bajesid et Jakub, qui gouvernaient alors les sandschaks de Kutahije et de Karasi (3), ei fortifié son ar- méedes troupesauxiliaires deSsaru-Chan, Men- tesche, Aidin et de Haroid (4). Parmi les souverains chrétiens européens, ses vassaux, il pouvait compter sur le prince de Serradsch et sur Constantin, prince de Gustendil (5). Un plus puissant renfort était le nom d'Ewrenos-Beg, le vieux compagnon d'armes d'Urchan, qui venait d'arriver à l'armée, de retour de son pèlerinage à la Mecque. Murad mena toutes ses troupes par le défilé de Succi (Ssuluderbcnd), le plus occidental de l'Huemus, qui, selon le rnpport d'Ammien Marcellin (6), s'élève graduellement du côté du nord ou de l'Illyrie, descend brusquement sur le versant de la Thrace, et ne peut être franchi qu'avec peine à l'aide de sentiers étroits, pratiqués à travers les rochers. Des deux côtés de l'Hœmus , à parlir du point où le Rhodope s'en détache pour s'avancer au sud, s'étendent de vastes pleines ; au nord se déploie la campagne de Jardika ou Sofia, habitée par les Daces au temps d'Ammien Mar- cellin (1); au sud celle de Philippopolis, où demeuraient les Thraces. A son troisième jour de marche, Murad atleigmt Ihliman (2) (l'ancien He'ike). Ici la route se pariage : à droite, un chemin facile et commode conduit à Sofia, Nissa et Schehrkoï (3); par celui de gauche, qu'inlerrompent souvent les eaux manquant d'écoulement, on arrive péniblement aux bains chauds de Gustendil, à l'angle où l'Orbelos se joint au Rhodope. Suivant le conseil de son vassal chrétien, le prince de Serradsch, Murad choisi! ce chemin, appelé Ssuluderbend, comme le plus court et menant le plus vite a l'ennemi. Trois jours après son départ d'Ihtiman, il atteignit la pi inr d'Alaeddin, où il s'arrêta deux jours, et, le lendemain, il était devant Gustendil, où il fut reçu amicalement par le seigneur du pays, son fidèle vassal; là, les guerriers fatigués trouvèrent une nourriture si abondante que, selon l'expression de Neschri (4), on voyait couler des ruisseaux de lait et de miel. La première halte fut dans la grande vallée d'U- lu-Owa (6), d'où Ewrenos fit une reconnaissance avec quarante cavaliers, et ramena quelques prisonniers (6). D'Ulu-Owa la marche se poursuivit vers Karatova (7), où l'on s'arrêla plus long'emps. Un envoyé de Lazare, qui, sous prétexte d'apporter un défi, n'était venu en réalité que pour voir l'état de l'armée, dut rendre grâces à son caractère, s'il ne reçut, pour prix de son insolent message, qu'une réponse dédaigneuse (8). Murad tint un conseil de guerre avec les chefs de son armée, et ton* furent d'avis de s'avancer dans le pays de l'ennemi. Ewrenos-Beg et Jigit-Pascha prirent la conduite de l'avant-garde. L'armée, tirant au nord, traversa les gorges de l'Orbelos, campa à Gunvschhisz;ir (1 ), sur la rive occidentale de la Morava, et passa le fleuve dans la nuit, tambour battant, enseignes déployées, en six divisions. La première était conduite par le grand vesir, la seconde par le prince Bajesid. la troisième par Aine-Beg, la quatrième par le prince .Iakub, la cinquième par Saridsch-Pas- cha, et la sixième par Murad en personne (2). la plaine de Kossova (en hongrois Rigomazeu, en allemand le champ des merles) a cinq mille pas de largeur et vingt mille de longueur; traversée par une petite rivière, elle est enfermée de tous cotés par des montagnes de peu d'élévation, auprès desquelles sont bâtis de jolis villages (3). Là, les troupes de Murad se trouvèrent en face de l'armée , bien supérieure en nombre, des grinces alliés de Servie, de Bosnie, d'Herzogewine et d'Albanie, et le sultan délibéra avec ses généraux pour savoir si l'on attaquerait sans s'arrêter à la supériorité de l'ennemi (4). Plusieurs furent d'avis df réunir les chameaux devant le front de l'armée , afin de jeter le trouble dans les rangs des Européens par l'aspect étrange de ces animaux (6), et de s'en servir en même temps comme d'une sorte de rempart. Le prince Bajesid combattit cette proposition. « Le ciel, disait-il , avait jusqu'alors couvert les armes ottomanes d'une protection si extraordinaire qu'il n'était pas besoin d'une telle ressource ; un stratagème de cette nature portait atteinte à la confiance que l'on mettait en Dieu ; il fallait combattre face à face et à découvert.» Le grand vesir appuya ce sentiment du prince par le résultat de la consultation faite dans la nuit sur les feuillets du Koran, selon la coutume. H était tombé sur ce passage: «0 Prophète, domute les infidèles et les hypocrites ! et, en effet, sou vent une faible troupe en abat une plusgrande(l). «Le beglerbeg Timur- lasch repoussa aussi la proposi'ion par des motifs puisés dans l'expérience de la guerre plutôt que dans la religion ; il représenta que les chameaux seraient effrayés par la grosse cavalerie plutôt qu'ils ne jetteraient la terreur dans les troupes opposées, et qu'en reculant, ils rompraient les rangs des Ottomans, au lieu de jeter le désordre dans ceux de l'ennemi (2). Le conseil se sépara à la nuit sans qu'une résolution eût été prise. Murad, découragé de voir que le vent, soufflant du côté de l'ennemi, chassait la poussière au visage des Ottomans, pria toute la nuit pour obtenir l'assistance d'en haut (3) et la faveur de mourir en martyr dans la défense de la vraie foi et de l'islam, qui seul peut donner la félicité. A la naissance du jour, les nuages de poussière tombèrent sous une pluie bienfaisante.

Du côté des alliés, dans le conseil de guerre, la proposition d'attaquer durant la nuit fut rejetée par Georges Castriota, qui prétendit que la nuit favoriserait la fuite de l'ennemi, le déroberait à sa destruction complète. Lorsque le ciel fut éclairci, les deux armées se trouvèrent en présence, prêtes au combat. Celle des infidèles, composée de Serviens, Bulgares, Bosniens, Albanais, Valaques, Polonais et même de Hongrois, d'après le témoignage de l'historien ottoman, était disposée dans cet ordre : Lazare, roi de Servie , commandait le centre, son neveu Wuk - Brankovich l'aile droite, et le roi de Bosnie, Thwarko, l'aile gauche. Les Ottomans étaient ainsi rangés : Murad choisit sa place accoutumée au milieu de l'ordre de bataille, le prince Bajesid prit le commandement de la droite, le prince Jakub la coqduite de la gauche. Au premier lurent adjoints Ewrenos-Beg et Kurd, aga des Asabes; au second, le subaschi Aine-Beg et le chef des pionniers Saridsche-Pascha. Haider, maître de l'artillerie, se tint au front avec ses pifces distribuées entre les janitschares.

I.a bataille s'engagea, et déjà l'aile gauche des Oltomans commençait à plier, lorsque Bajesid accourut à son secours, brisant devant lui les tètes des ennemis avec une massue de fer. l.esang coulait à grands flots. Tout à coup, au milieu des morts el des mourants, s'avance un noble servien, Milosch-Kobilovitsch, qui, s'ouvrant violemment un passage à travers les rangs des tschauschs et des gardes du corps, s'écrie qu'il veut confier un secret à Murad. Sur un signe du sultan, on le laisse approcher; le Servien s'élance, et, au moment où il se courbait comme pour baiser les pieds de Murad, il lui plonge son poignard dans le ventre. Les gardes du corps se précipitent sur l'assassin ; mais Milosch, plein de vigueur et d'agilité, en abat plusieurs; trois fois, par d'incroyables efforts, il échappe i la foule des assaillants, et cherche à gagner le bord du fleuve où il avait laissé son cheval, mais enfin, accablé par le nombre, il est renversé et mis en pièces (2). Cependant, malgré sa blessure mortelle, Murad eut encore assez de force d'Ame pour donner les ordres qui devaient achever la victoire. Lazare fut pris et amené dans la tente de Murad , qui se trouva en état de prononcer sa condamnation, et qui, avant d'expirer, vengea d'avance sa propre mort si prochaine par celle de son ennemi [1389].

Tel est le récit présenté par les historiens ottomans sur l'action de Milosch-Kobilovitsch ; les Grecs et les Serviens ne rapportent pas de même le meurtre du sultan. Si les Turcs ont l'habitude de rabaisser les actions glorieuses des chrétiens, ceux-ci sont trop disposés à grandir leurs héros, à les revêtir des plus brillantes couleurs. Il faut donc opposer les uns aux autres les témoignages contradictoires, et, dans le doute, s'abstenir de prononcer. Voici comme l'action de Kobilovitsch est racontée, non-seulement par les traditions serviennes, mais encore par l'un des Byzantins les plus dignes de foi, Jean Ducas, petit-fils de l'empereur de ce nom : « La veille de la bataille, le roi Lazare était à boire avec ses nobles dans des coupes appelées stravizas : « Vide cette coupe à ma sanlé, dit Lazare à Milosch, quoique tu sois accusé de nous trahir. Merci, sans les stravizas, répondit Milosch, la journée de demain prouvera ma fidélité.» Le lendemain matin, Milosch .«e rendit sur un puissant coursier dans le camp ennemi, et demanda comme transfuge à être admis à baiser les pieds du sultan, ce qui lui fut accordé. Alors, il se baissa, et, saisissant le pied de Murad, il le jeta il bas de son siège, en l'attirant en avant, et lui plongea son poignard dans le cœur. Puis il s'enfuit avec une telle rapidité qu'il parvint à atteindre son cheval; mais, avant qu'il pût s'élancer en selle, il tomba percé de mille coups par les janitschares. Aussitôt, les Turcs engagèrent la bataille en fureur pour venger l'assassinat de leur souverain. Lazare ordonna au chef des Bosniens, Wladko-Bu- kovich, de tenir tête aux Turcs avec vingt mille hommes. La première charge fut repoussée avec succès; mais, au moment où Wladko allait attaquer à son tour, le bruit se répandit dans l'armée que Tragos-Prowisch, général du despote , avait tourné ses armes contre les chrétiens; ce bruit, qui était faux, fut-il un effet du hasard ou bien un artifice des Turcs ? On ne sut; mais, quoi qu'il en soit, Wladko, effrayé, s'enfuit avec les Bosniens, et Lazare, abandonné des siens, tomba, sans résistance, avec ses nobles entre les mains de l'ennemi. Conduit dans la tente du sultan mourant, il apprit alors seulement comment Milosch-Kobilovitsch, au moment décisif, avait prouvé la foi par lui jurée. «-Grand Dieu, s'écria Lazare, en levant les mains vers le ciel, appelle maintenant mon âme à toi, puisque tu m'as accordé la grâce de contempler, avant ma mort, mon ennemi expirant, frappé de la main d'un guerrier fidèle. » A l'instant le souverain de Servie et ses nobles furent exécutés devant le sultan agonisant, qui put encore entrevoir leurs cadavres. Au reste, d'après l'une ou l'autre version, quelle que soit la véritable, Murad ne fut point frappé dans une attaque à découvert, dans un combat d'homme à homme ; le meurtre sur le champ de bataille a quelque chose de moins odieux que le coup porté dans la tente; Milosch, sortant d'un monceau de cadavres, aura bien pu exécuter le projet conçu et médité à l'avance ;

ainsi, la vraisemblance se trouve du côté des hisloriens otlomans. Quoi qu'il en soit, le nom de Milosch-Kobilovitsch est inscrit dans les annales des Ottomans comme celui d'un meurtrier: et il est répété par les Serviens comme celui du vengeur de la liberté de la patrie. Et toutefois, d'après le témoignage irrécusable des écrivains de la Servie, l'action de Kobilovitsch fut déterminée par l'ambition et par le désir de se laver du soupçon de trahison. Voici ce qui donna naissance à ce soupçon : Wukaschava et Mara, les deux filles de Lazare, étaient mariées, la première à Milosch, l'autre au rival de ce seigneur, Wuk-Brankovich. Les deux soeurs disputant un jour sur la valeur de leurs époux, Wukaschava appuya ses raisons par un soufflet. Mara se plaignit, en pleurant, à Brankovich. qui appela son beau-frère en duel. Le combat eut lieu avec la permission du roi. Milosch renversa son adversaire à bas de son cheval, et le vaincu, par un vil ressentiment contre son vainqueur, l'accusa d'intelligence avec les Turcs. On a vu comment, la veille de la bataille, le roi, en présence de tous les grands, présenta la coupe d'argent à Milosch (1), et comment celui-ci accomplit la parole qu'il avait donnée. Ainsi, son action héroïque fut provoquée p;ir une querelle de femmes. Au reste, le nom de Milosch-Kobilovitsch est perpétué chez les Serviens et les Otlomans de plus d'une manière (2). Dans l'arsenal du serai, on conserve son armure et l'équipement de son cheval (3); et l'usage, observé encore aujourd'hui, à l'entrée du serai, pour les audiences du sultan, de faire introduire sans armes le personnage présenté par des chambellans qui lui tiennent les bras, ce cérémonial, plein de mesures préventives, se rapporte au meurtre de Murad (4). Sur le champ de bataille de Kossova, on montre trois grandes pierres, placées à la distance de cinquante aunes l'une de l'autre, qui marquent les trois bonds par lesquels Kobilovitsch échappa aux gardes du corps lancés sur lui (5); une chapelle turque marque l'endroit où Murad succomba ; mais ses restes ne reposent point en ce lieu (1): ils furent transportés à Brusa et déposés contre la mosquée élevée pur ses soins.

La vie de Murad justifia pleinement les deux surnoms de Chudawendkiar (seigneur) (2) et de Ghasi (vainqueur), sous lesquels il est célébré dans l'histoire des Ottomans. Il fut un champion infatigable dans la guerre sainte, et presque toujours un maître équitable. Cet hommage lui est rendu par Chalcondylas lui-même, malgré l'exécution de Saudschi et la scène si trafique de Oemitoka, alors que le sultan faisait
précipiter dans les flots de la Marizza les jeunes nobles grecs, ses prisonniers (1).

La même année où Murad tomba sous le poignard de Milosch-Kobilovitsch, vit aussi mourir Behadeddin, le grand scheich des Nakschbeu- dis, elle premier des poètes lyriques persans, Hafis, dont le style est le modèle du mysticisme (2). Ce synchronisme est ici indiqué, parce qu'il marque le plus haut degré de mysticisme et de la poésie des Persans, qui dès lors commencent à exercer une grande influence sur la littérature des Ottomans.

(1) Amorales aulein per oumiaimitansaequUatemCyri Cambysis filii ; Chai coud, 1.

(2) iladschi-Chalfa, Tables* chronologique*.

(1) Idris, Neschri.

(2) Karasi, Kermian, Hamid, Mentesche, Tekke, Ai- din et Ssaru-Chan.

(3) La conquête de Mentesche et d'Aidin est rapportée par Seadeddin , Idris, Npschri ,1. c., Aali , Ssolaksade. fol. 20; Chalcondylas et Ducas, p. 7. Ce dernier nomme le prince d'Aidin Isa, celui de Ssaru-Chau Chirs, et celui de Karasi Elias.

(4) Notices et extraits delà Bibliothèque du roi, l.iv. p. 671.

(5) Neschri,fol. 96; Seadeddin, dansBralutti.p. 192.

(6) Ibid.

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Cet page vous fournie des doc. des pages des livres comme témoingage sur leurs origine et leurs véritable parcoure jus' que acctuélel Kosovo qui l'ont ocuper en 1217 aprés notre ére.


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